La mort de Paul Chemla

Paul Chemla nous a quittés. J’ai encore du mal à y croire. Un univers du bridge sans lui, c’est comme un univers tout court sans hydrogène… inconcevable.
Il était bien plus qu’un triple champion du monde, c’était un personnage unique, parfois terrible mais infiniment attachant… et tellement drôle !
J’ai passé des milliers d’heures à le kibitzer lorsqu’il jouait en face de Michel Perron et formait avec lui une des toutes meilleures paires du monde. J’ai beaucoup appris, mais le coup le plus extraordinaire que je lui ai vu faire est le suivant. C’est la Division Nationale 1 par quatre. L’adversaire joue 7SA. Michel entame, le mort s’étale et le déclarant commence à réfléchir, à réfléchir… Au bout de deux minutes, alors que la première carte du mort n’a toujours pas été jouée, Paul remet ses cartes dans l’étui en disant : “une de chute”. L’adversaire le regarde, totalement interloqué, mais Paul lui répond alors calmement : “c’est très simple, mon ser ami (il zozotait un peu), vous n’avez visiblement pas le Valet de Carreau. Sinon, vous auriez tablé en réclamant 13 levées. Et je peux vous assurer qu’il n’y a aucun squeeze qui marche !”.
Mais qui peut oser faire un truc pareil ??!! Un seul joueur au monde : Paul Chemla (n’oubliez pas qu’un joueur ayant tablé, le jeu est terminé et les 4 mains dévoilées à l’adversaire !)
Une autre anecdote à son sujet, encore en Division Nationale par 4. Nous jouons le 11e tour (sur 15) contre son équipe, mais lui ne jouera pas le match. Nous sommes actuellement 15e sur 16 et lui aux alentours de la 6e place (une honte complète, de son point de vue). Mon partenaire et moi-même nous installons pour jouer quand je croise le regard de Paul, errant entre les tables comme une âme en peine (il détestait être sur la touche). Il s’approche alors et me demande : “Marc, ça vous ennuie si je vous kibitze ?”. Ce à quoi je réponds dans la foulée : “mais je vous en prie, Paul, ne bougez pas, je vais vous chercher un fauteuil !”. Les premières donnes nous sont plutôt favorables et Paul commente absolument tous les coups dès qu’ils sont terminés, ne tarissant pas d’éloges sur notre jeu et fustigeant l’incommensurable incompétence de ses coéquipiers. Je me rappellerais toujours l’entendre fulminer : “ze commence à comprendre pourquoi on est derniers de l’épreuve !”. Toujours est-il que ses partenaires ont complètement perdu pied et que nous avons gagné le match 19 à 1, amorçant ainsi une des plus belles “remontada” de ma carrière (nous avons fini 8e !). Merci, Paul !
Toujours en Division Nationale 1. Au bout des deux premiers matches, le classement apparait sur les écrans. En tête de l’épreuve, l’équipe Kerlero. Paul me regarde et me fait un petit signe de tête amical, genre : “bravo !”. Je m’approche et lui glisse : “d’un autre côté, mon partenaire n’arrive que demain et je n’ai pas encore joué une donne !”. Réponse immédiate de Paul, éclatant de rire : “ze me disais bien, aussi !”. Mais il n’y avait là rien de méchant, juste une occasion de sortir un bon mot et de “charrier” un peu quelqu’un pour qui il avait, je crois, de l’affection.
Alors, bon vent, Paul, et encore un immense merci pour tout ce que vous avez apporté au bridge français. Un jour, peut-être, nous nous retrouverons dans un monde meilleur et, enfin, j’oserai vous demander de jouer quelques donnes en face de moi.
Je vous invite à relire les articles suivants pour lui rendre hommage :
et, le meilleur de tous :
