Le Pair-Impair

Le Pair-Impair

La signalisation au bridge est un domaine mal intégré par la plupart des joueurs, qui croient y voir la solution à tous leurs problèmes :

Quelle couleur jouer ?
Celle où le partenaire a «appelé», bien sûr !

Mais pourquoi diable voulez-vous que le joueur Est, qui voit les 13 cartes d’Est, puisse mieux savoir qu’Ouest, qui voit ses 13 propres cartes, ce que ce dernier doit jouer ? A de rares exceptions près, c’est totalement absurde !

En revanche, les deux défenseurs peuvent s’aider mutuellement à reconstituer les jeux cachés, au moins partiellement. Or, il se trouve que les sources de renseignement sont nombreuses concernant l’emplacement des honneurs (enchères, premières levées, façon de jouer du déclarant ou du partenaire), mais très limitées dans le domaine des répartitions. C’est donc ici que la défense devra porter l’essentiel de ses efforts «signalétiques», d’où l’importance du PAIR-IMPAIR, signalisation de base au bridge.

Le Pair-Impair, comment ?

Lorsqu’il décide de fournir une carte sans importance stratégique, un joueur peut utiliser ses petites cartes pour signaler s’il possède un nombre pair ou un nombre impair de cartes dans la couleur.

Avec un nombre impair, il fournit la plus petite :

854     R92     96543     RV962     AV96543

Avec un nombre pair, il ne fournit pas la plus petite :

Il essaie d’être le plus clair possible, sans risquer de compromettre une levée.

– avec deux cartes, toujours la plus grosse :

42    92    

Attention : avec un honneur second, on ne marque pratiquement jamais son pair-impair, sauf parfois avec un Valet ou un 10 second, si l’on est sûr qu’il n’a aucun rôle à jouer dans la couleur.

– avec quatre cartes, souvent la seconde :

R652     8743

Attention : parfois, il faudra se contenter de jouer la troisième, par peur d’un gaspillage :

RV65     D943

– avec six cartes, la quatrième :

RV9652     D97543

Attention : on pourra parfois jouer la troisième, mais jamais la cinquième, car le partenaire confondrait avec cinq cartes.

En effet, il sera bien rare que le partenaire puisse s’offrir le luxe d’attendre la deuxième levée de la couleur pour avoir le compte : la plupart du temps, il sera trop tard. Avec un nombre pair, on s’efforce donc d’être le plus clair possible dès la première carte jouée.

Le Pair-Impair, pourquoi ?

Dans la plupart des coups de bridge, la défense doit chercher à encaisser ou à affranchir des levées d’honneurs : il est donc primordial qu’elle connaisse le nombre de cartes possédées par le déclarant dans les couleurs concernées, pour savoir si ses honneurs «passent» ou sont coupés :

D97
RV10
852
ADV10
4
ARV105
75
1096
863
6
ONES
1♣1♠2
2♠4fin

Contrat : 4

Entame : 4 de Pique (le 6 en Sud)

Est fait la première levée du 10 de Pique et ne doit pas encaisser son As comme un automate ! S’il veut bien examiner la première levée avec attention, il verra qu’Ouest ne peut pas posséder trois cartes, car il n’y a plus que le 8 comme carte invisible supérieure au 4. Ouest possédait donc 8432 au départ et Sud le 6 sec. Comme les Trèfles menacent de procurer des défausses au déclarant, il est temps de contre-attaquer du 10 de Carreau.
Peut-être les quatre jeux sont-ils :

D97
RV10
852
ADV10
8432
42
ADV4
752
ARV105
75
1096
863
6
AD9863
R73
R94

On remarque ici l’importance primordiale du jeu du 4 (la seconde) et non du 3. Si Ouest avait entamé du 3, Est l’aurait vu avec 843 et aurait encaissé son As de Pique. Sud aurait coupé et cambriolé la manche.

Le pair-impair sert aussi à bien d’autres choses.
Par exemple, même si la distribution des Carreaux indiffère totalement le joueur Est, la connaître peut lui permettre d’en déduire la répartition des Cœurs, couleur qui, elle, le passionne.
Il permet aussi à un joueur possédant un honneur maître dans une couleur du déclarant, de prendre «au bon moment» :

862
R5
RDV1095
76
V
743
A962
A8
V984
ONES
1♣
-1-1
-3-3SA
fin

Contrat : 3SA

Entame : Valet de Pique.

Sud prend de la Dame de Pique et joue le 6 de Carreau vers le mort.

Que doit faire Est, suivant qu’Ouest a fourni le 2, le 3, le 4 ou le 7 ?

Le Roi de Cœur étant «anesthésié» par l’As d’Est, celui-ci doit tenter d’isoler le mort, en prenant de son As de Carreau au moment où Sud jouera son dernier, si possible :

– tout de suite si Sud est singleton,
– au deuxième tour s’il est doubleton,
– n’importe quand s’il est tripleton, la cause étant alors perdue pour Est.

– Si Ouest fournit le 2, il indiquera sûrement trois cartes, donc deux en Sud et il faudra laisser passer.

– Si Ouest fournit le 3, il pourra posséder 743 ou 32 (mais pas 7432). Rien à faire dans le deuxième cas (Sud a trois Carreaux), mais il faut laisser passer dans le premier.

– Si Ouest fournit le 4, il possèdera 43 / 42 (rien à faire) ou 7432 : Sud est alors singleton à Carreau et il faut prendre tout de suite. Parfois, Sud n’a besoin que d’une levée de Carreau (♠ ADx  DV10x x ♣ ARDxx).

– Si Ouest fournit le 7, il est certainement doubleton et il n’y a rien à faire, alors autant prendre tout de suite, pour montrer à Ouest que les Carreaux seront exploitables pour le déclarant et l’inciter à encaisser ses levées rapidement.

Exercice (inspiré d’un article signé Michel Bessis, paru dans «Le Bridgeur» il y a quelques années).

Vous entamez de l’As de Carreau contre 4♠ et le mort s’étale.

Que déduisez-vous des cartes fournies par Est et Sud ?

D1083
AR52
9
V
Sud est un plaisantin. Si son Valet était sec, Est aurait 9764 et il aurait fourni le 7 (la seconde dans quatre cartes).
Est est doubleton à Carreau et vous pouvez éventuellement lui donner la coupe.
D1083
AR52
6
4
Le 6 est le plus petit Carreau du paquet et provient d¹un singleton ou, plus souvent, de trois cartes (doubleton en Sud).
Le Roi de Carreau «passe», mais il n’est pas forcément urgent de l’encaisser, car on libèrerait deux levées au mort.
D1083
AR52
6
V
Où est le 4 ?
Si c’est Est qui l’a, il possède 64 (pas 9764), pour V97 en Sud.
Si c’est Sud, Est possède 976.
Il y a doute, mais Sud fournira plus souvent le Valet avec V97 qu’avec V4.
En tout cas, le Valet n’est pas sec.
D1083
AR52
7
9
Le 7 d’Est peut provenir de V764, de 76, 74… ou du 7 sec.
Ouest n’est donc même pas sûr que son Roi passe, mais peut-être les enchères pourront-elles l’aider à trancher ?
Le Pair-Impair, quand ?

Le Pair-Impair peut s’utiliser en entamant (à la couleur), en fournissant sur l’entame du partenaire, en cours de jeu, en défausse, etc, autrement dit dans toutes les situations, exceptées :

– à l’entame à Sans-Atout (quatrième meilleure),
– au switch à Sans-Atout (petit prometteur),
– lorsqu’il a été clairement écrit qu’il fallait adopter une autre signalisation.
Citons :
– appel/refus sur l’entame de l’As à Sans-Atout ou sur le jeu d’un As,
– appel de préférence quand le partenaire cherche à couper.

Cette dernière clause est très importante, car elle évite les dialogues de sourds entre partenaires, une fois le contrat adverse filé :

Ouest : «mais enfin, partenaire, pourquoi n’avez-vous pas rejoué Trèfle lorsque vous avez encaissé l’As de Carreau et que j’ai fourni le 2 ?»

Est : «parce que je pensais que vous refusiez la couleur, tout en m’indiquant trois cartes !»

Bref, à moins de se trouver dans une situation dûment répertoriée d’appel direct, d’appel de préférence ou de petit prometteur, considérez que les petites cartes fournies par votre partenaire sont l’indication de sa parité, vous éviterez beaucoup d’ennuis et de «pataquès».

Néanmoins, il faudra parfois se méfier, lorsque le déclarant manœuvre lui-même une couleur «à trou», et ne pas lui donner la clef du bon maniement
:

AD108
V653
74
R92
AD108
653
V74
R92

Lorsque Sud encaisse l’As et le Roi, il ne faudrait pas que le Pair-Impair d’Est-Ouest dévoile la situation et permette à Sud de bien décider entre tenter l’impasse au Valet et jouer normalement «en tête».

L’idéal serait même que les deux joueurs signalent le pair-impair à l’envers tous les deux !

Remarque importante au passage : vous devez indiquer à vos adversaires votre système de signalisation, mais la loi ne vous oblige pas à l’appliquer systématiquement. Si vous pensez que le renseignement fourni sera plus utile au déclarant qu’à votre partenaire, vous avez toujours le droit de mentir.

En revanche, il serait interdit de convenir à l’avance avec son partenaire : “on va donner le pair-impair tout le temps à l’envers sans le dire à personne”. Là, il y aurait connivence. Si vous mentez, vous devez mentir à tout le monde, partenaire compris, à vos risques et périls.

Le Pair-Impair du résidu

Lorsqu’à la première levée d’une couleur, un joueur décide de ne pas donner le compte (le plus souvent pour fournir un honneur), il doit reporter le Pair-Impair au tour suivant, en considérant son nombre de cartes restantes :

Avec R642, on commence par le 6, pour montrer le nombre pair de cartes. Mais si, pour une raison ou pour une autre, on a joué le Roi à la première levée de la couleur, il «reste» 642, soit un nombre impair de cartes et il faudra fournir le 2 à la levée suivante.

Le Pair-Impair dans la couleur d’atout

Avec un doubleton, on commence usuellement par la plus grosse (le 8 avec 83, par exemple). La plupart du temps, ce «sacrifice» du 8 n’a aucune conséquence fâcheuse, celui-ci n’ayant pas plus de rôle à jouer que le 3.
Il n’en va pas de même dans la couleur d’atout, car il faut toujours conserver son plus gros atout (il existe un coup célèbre, filé par un joueur qui avait fourni le 4 avec 42… et qui n’a plus été en mesure ensuite de surcouper le 3 adverse !!).
On convient donc, si l’on décide d’indiquer son nombre d’atout (ce qui n’est nullement systématique, bien entendu), de jouer le Pair-Impair inversé dans la couleur d’atout :

84     852

Exercices d’application

Vous êtes en Ouest.

R84
V109
V109
A1084
1093
R54
AD842
96
5
3
ONES
--1SA
-3SAfin

Vous entamez du 4 de Carreau et le 9 du mort remporte la levée (5 en Est et 3 en Sud).
Sud laisse alors filer le Valet de Cœur pour votre Roi.
Que rejouez-vous ?

Est a un Carreau ou trois. Dans le premier cas, il n’y a rien à faire. Dans le second, Sud a maintenant le Roi sec et il faut encaisser l’As.
R84
V109
V109
A1084
1093
R54
AD842
96
762
876
765
RD72
ADV5
AD32
R3
V53
DV4
R9
986
AD1092
R5
1073
RDV75
873
3
A
ONES
-1♠
-2♣-2♠
-4♠fin

Vous entamez du Roi de Carreau, pour le 3 d’Est et l’As de Sud. Sud monte au mort à Trèfle et laisse filer la Dame de Pique, pour votre Roi. Vous encaissez la Dame de Carreau, pour le 4 et le 2, dans l’ordre.

And now ?

Si vous avez bien noté la première levée, vous n’avez pas de problème : Sud n’a plus de Carreau et, sa façon de jouer dévoilant clairement le Roi de Trèfle chez lui, il y a urgence à encaisser des levées : le retour à Cœur «hurle».
Si vous n’avez pas bien analysé la première levée, vous allez rester «en arrêt» devant ce 4 mystérieux. Voyons, tout à l’heure (il y a une éternité !), qui avait le 6 et qui avait le 3 ? Impossible de s’en rappeler, bien entendu, et il ne reste plus qu’à jeter une pièce en l’air !
DV4
R9
986
AD1092
R5
1073
RDV75
873
872
AD642
1043
54
A10963
V85
A2
RV6
R754
D832
R3
ADV
32
ARV6
85
96532
7
10
ONES
1♠
-2♣-3♣
-3♠-4♠
fin

Sur l’As de Cœur, Est fournit le 7 et Sud le 10.

Nous jouons en tournoi par paires.
Que rejouez-vous ?

Certes, il y a un doute entre deux et quatre cartes, mais les enchères permettent de trancher. Ici, Sud a montré au moins neuf cartes noires pendant les enchères : s’il possède trois Cœurs, il n’a pas plus d’un Carreau, ce qui en laisserait huit en Est, impossibles quand il a passé tout le temps.
A partir de là, il devient raisonnable de rejouer Carreau, de peur que Sud ne défausse un Carreau du mort sur son quatrième Trèfle.
R754
D832
R3
ADV
32
ARV6
85
96532
86
9754
AD9764
7
ADV109
10
V102
R1084
72
743
RDV75
764
105
AD1098
32
V1053
2
A
ONES
2♣
-2-3♠
-4♠fin

Est fournit le 2 de Trèfle sur votre entame du Valet et Sud prend de l’As, avant de donner trois tours d’atout (As-Roi-Dame).
Quelle carte défaussez-vous ?

Ouest doit réaliser que la «carte-clef» du coup est l’As de Carreau :
– s’il est en Sud, le déclarant va bientôt tabler et rien n’a d’importance.
– s’il est en Est, le partenaire a absolument besoin de connaître le compte de la couleur, pour savoir quand il doit prendre. Or, si Sud joue Carreau vers le Roi (le 4 en Sud et le 3 en Ouest), puis Dame de Carreau du mort, Est ne saura pas quoi faire, car il n’aura pas pu «lire» le 3, qui pourrait provenir aussi bien de 32 que de 863. Conclusion, il faut défausser le 3 de Carreau sur le troisième tour d’atout. Ainsi, quand Sud jouera Carreau, le 2 sera lisible pour Est.
72
743
RDV75
764
105
AD1098
32
V1053
843
65
A109
RD982
ARDV96
RV2
864
A
Professeur agréé par la F.F.B, Marc Kerlero enseigne le bridge depuis 1980. Il est l'auteur de 15 ouvrages, dont plusieurs best-sellers et a été rédacteur en chef d'Objectif 13 puis de Bridgerama. Il a collaboré aussi à Jouer Bridge. Il a été champion d'Europe junior en 1984, vice-champion de France de division nationale I en 2004, champion de France de division nationale II par quatre en 2014 et vainqueur de la Coupe de France en 2019.