Théorie du moindre choix (bis repetita)
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- Ce sujet contient 9 réponses, 4 participants et a été mis à jour pour la dernière fois par Marc Kerlero, le il y a 5 années.
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10 novembre 2019 à 15 h 16 min #4268720 dBVisiteur
Bonjour Marc, bonjour Jacquesbres, bonjour à tous,
Je constate (sans amertume aucune, j’essaie seulement de me rendre utile) que personne n’a vu le texte que Marc a déposé en mon nom il y a quelques jours. Je reviens donc sur ce sujet. Je vais essayer de faire simple.
Initiée au XVIIe siècle par Blaise Pascal et Pierre de Fermat, la théorie des probabilités a été rigoureusement définie en 1933 par Andreï Kolmogorov. Elle repose notamment sur la notion très importante d’univers probabilisé. Cet univers, au bridge, c’est l’ensemble de toutes les répartitions possibles des cartes inconnues. Celles qui contiennent les cartes que vous voyez passer au fur et à mesure que le jeu se déroule doivent en être éliminées. Les probabilités évoluent en permanence. C’est d’ailleurs pour ça que Marc nous apprend à compter les mains.
On évalue les probabilités par dénombrement : on dénombre, par exemple, le nombre de cas où les Cœurs sont 3-1 et on divise par le nombre de cas possibles. La technique de dénombrement appartient à l’analyse combinatoire.
Commençons par un cas simple : AV10xxx / Rxx. À 9 cartes il faut tirer en tête (57,92%) plutôt que faire l’impasse après un coup de sonde (56,22% ; le coup de sonde permet de prendre la Dame sèche ou de révéler une chicane en Ouest). Ce sont les probabilités initiales. La différence (1,70%) provient des seuls cas Dx / xx (20,35%) et x / Dxx (18,65%). Mais, nous l’avons dit, il ne s’agit plus de probabilités initiales. Vous prenez l’entame, tirez le Roi (petit des deux côtés) puis petit vers AV (à droite, on fournit petit, vous êtes dans l’un de ces deux cas, éliminez tous les autres). Vous êtes au milieu de la 3e levée, il faut décider quelle carte appeler du mort. Le dénombrement (par l’analyse combinatoire) des cas favorables et des cas possibles à cet instant précis montre que vous avez exactement 11 chances sur 21 en appelant l’As. C’est la fameuse théorie de la place vacante (ou disponible). Est a encore 10 cartes et Ouest 11 pour « accueillir » la SEULE carte manquante.
Passons maintenant au cas qui nous préoccupe : A10xxxx / Rxx et il manque DVxx. Même scénario : vous tirez le Roi et un Honneur tombe en Ouest. Puis x vers A10. Et maintenant ?
On vous explique alors qu’Ouest avait presque deux fois plus de chances (12,44%) d’avoir un Honneur sec que DV (6,78%) ; ou encore qu’avec DV, il pouvait choisir de jouer n’importe quelle carte et donc que, dans ce cas, sa carte compte pour moitié (3,39% contre 6,22% de l’Honneur sec). Cette seconde manière de voir ressemble à une application du théorème de Bayes (1763). Donc, vous devez faire l’impasse avec près de deux chances sur trois de réussite. C’est la fameuse théorie du moindre choix due à Émile Borel et propagée par Alan Truscott.
Eh bien, non ! Ouest n’a pas joué n’importe quelle carte : il a joué celle QUE VOUS AVEZ VUE. Jacquesbres a du mal à « accepter » cette théorie : il a raison, son diagnostic (clin d’œil au médecin !) est le bon. Si vous avez vu le VALET, Ouest N’AVAIT PAS LA DAME SÈCHE. Toutes les mains d’Ouest qui contenaient la Dame sèche au départ doivent être désormais exclues de votre univers probabilisé. On compare les SEULES mains initiales qui restent possibles, V / Dxx (6,22%) et DV / xx (6,78%). Expliquez-moi pourquoi la théorie de la place vacante ne serait plus applicable. J’appelle l’As, je gagne dans un petit peu plus d’un cas sur deux (11 sur 21 à cet instant). Quand ça ne marche pas, mon partenaire fait la tête. Tant pis !
La théorie du moindre choix ne tient pas la route, du moins pas celle de la rigueur mathématique, j’en suis persuadé, je ne suis pas le seul. Elle repose sur une vague notion de probabilité psychologique dont j’attends une définition rigoureuse et compatible avec la construction de Kolmogorov. Les 300 ou 400 Ouest d’un simultané font ce qu’ils veulent, ils ne changeront pas le contenu des étuis, je ne les ai jamais admis dans mon univers probabilisé. Je sais que ce n’est pas conforme à la doxa enseignée par le haut clergé du bridge. Il y a eu d’autres cas similaires (et beaucoup plus graves). N’est-ce pas, Galilée ?
10 novembre 2019 à 15 h 36 min #42688DOMIVisiteurMerci mais pourquoi ce doute alors que tout semble balisé depuis des lustres ? Quel statisticien pourra “lever l’indétermination” ?
11 novembre 2019 à 9 h 50 min #42712Marc KerleroMaître des clésDésolé, mais pour une fois, je me déclare totalement incompétent pour trancher ce débat. A l’instinct, la théorie du moindre choix m’a toujours semblée fumeuse, mais ce n’est que de l’instinct… 🙂
11 novembre 2019 à 11 h 15 min #42720jacquesbresVisiteurSi, si j’avais lu le texte!
Ma perplexité vient du fait que les calculateurs (et pas seulement Truscutt) indique qu’il faut faire l’impasse au deuxième tour.
En fait, il faut réintégrer la probabilité initiale Dxx V, même si la dame est sortie à droite au premier tour; c’est cela qui est plutôt contre-intuitif.
Attendons qu’un mathématicien donne donne une explication …11 novembre 2019 à 17 h 26 min #4274020 dBVisiteurD’abord, il faut rendre hommage à Émile Borel (1871-1956). Grand mathématicien, à l’origine (avec Lebesgue) de la théorie de la mesure et de son application à la théorie des probabilités. Ses travaux ont été utilisés par Kolmogorov pour en établir des bases rigoureuses.
Malheureusement, il introduisit dans le monde du bridge la notion de probabilité psychologique qui n’a aucun fondement rigoureux dans le cadre de la théorie. Tout le monde peut déraper. Hélas, il ne s’est trouvé personne à l’époque pour lui apporter la contradiction et les champions ont répandu sa théorie du moindre choix. Cela s’appelle l’argument d’autorité, de Borel vers les champions d’abord, puis de ceux-ci vers le menu peuple.
Aujourd’hui, on aborde les proba dès le collège (en 4ème) pour aboutir au lycée à la notion d’espace probabilisé, à l’axiomatique de Kolmogorov, aux probabilités conditionnelles, aux événements indépendants, au théorème de Bayes (1ère) et aux variables continues (en Terminale S).
Pour Jacquesbres : qu’appelez vous un calculateur (qui ne serait pas le mathématicien que vous attendez) ? Ce que j’ai écrit, ce sont des mathématiques (très modestes au demeurant). J’insiste, il ne faut pas réintégrer la probabilité initiale de Dxx/V si la Dame est sortie à droite. Ne revenez pas aux probabilités initiales quand vous avez une certitude : Est n’avait pas le Valet sec. L’univers probabilisé a évolué. On le fait découvrir aux collégiens dès la 4ème (sans nommer explicitement cette notion, évidemment). Voici un problème de 4ème justement : 4 enfants, André, Brigitte, Claude et Dominique se partagent une galette des Rois, les parts étant égales. Quelle est la probabilité que Brigitte trouve la fève ? 25%. André et Claude, qui sont de gros gourmands, dévorent leur part et ne trouvent pas la fève. Qu’est devenue la probabilité qu’elle échoue à Brigitte ? Bien sûr, c’est 50%.
Pour Domi : vous mélangez probabilités et statistiques. Ce n’est pas la première fois. Le lien est certes étroit, mais ce n’est pas la même chose.
Pour Marc : bien sûr, c’est fumeux, et même faux. Ce que j’aimerais, c’est qu’un membre du Haut Clergé du bridge, faute de démolir cette théorie, sème au moins le doute parmi ses pairs 😉
11 novembre 2019 à 20 h 23 min #42769Marc KerleroMaître des clésEnvoyez moi un mail ([email protected]). Je vous donnerai les mails de Yves Langevin et David Harari, tous deux 1e Nationale et mathématiciens de très haut niveau. Vous pourrez en discuter avec eux.
12 novembre 2019 à 9 h 03 min #42773DOMIVisiteurdésolé cher 20db (décibels ?) de “confusionner” entre probas et stats ! comme quoi, on apprend tous les jours
Marc, cette intéressante discussion pourrait-elle être “élevée” aux autorités bridgesques (FFB, le bridgeur) compte tenu du dynamitage qu’elle introduit ?
12 novembre 2019 à 9 h 25 min #42784Marc KerleroMaître des clésJe n’ai aucune compétence pour ça.
15 novembre 2019 à 10 h 07 min #42976Marc KerleroMaître des clésDavid Harari m’a répondu et il est catégorique : la théorie du moindre choix est juste, selon lui. Je rappelle que c’est un mathématicien enseignant / chercheur de très très haut niveau ! Il organise une conférence sur les probabilités à France Bridge (Paris) le samedi 23 novembre, de 11 h à 13 h. Je ne peux qu’inciter ceux qui sont intéressés par le sujet et désireraient débattre avec lui d’y assister… même si c’est en même temps que ma propre prestation à Meudon ! 🙂
15 novembre 2019 à 16 h 05 min #43004Marc KerleroMaître des clésVoici maintenant la réponse d’Yves Langevin :
Bonjour à tous,
La difficulté provient du fait que (comme l’indique Marc) le moindre choix s’appuie sur une analyse du comportement des adversaires.
La présentation standard du moindre choix fait l’hypothèse qu’un adversaire qui doit fournir l’une de deux cartes équivalentes (cas “DV secs”) fournit l’une ou l’autre de manière équiprobable. C’est un peu sommaire mais c’est la seule hypothèse possible d’un point de vue statistique en l’absence d’information fiable indiquant le contraire.
Pour le cas MC1, il ne faut donc pas rajouter 6.22% pour (Dxx, V) aux 6.22% pour (Vxx, D), ce qui est contre-intuitif car on a vu la D et pas le V, mais diviser par 2 le cas (xx, DV), ce qui donne: 3.39% pour (xx, DV) et 6.22% pour (D, Vxx), donc on fait l’impasse.
Mon expérience à la table est que l’adversaire mets plus souvent la D que le V (plus c’est gros, plus ça fait singleton…).
Si vous rencontrez un adversaire qui met TOUJOURS la D avec DV sec (et il est impossible d’en être sûr), on se retrouve à 6.78% contre 6.22% et il faut donc tirer en tête, mais vous n’en rencontrerez pas souvent.
Yves Langevin
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